Des nouvelles d’Alep – Mgr Jeanbart
« DEO GRATIAS »
Je voudrai commencer cette lettre de vœux, là où j’avais terminé ma lettre l’an dernier . ‘’Jours et nuits, nous remercions le Seigneur qui, grâce à la générosité de nos bienfaiteurs et à la dévotion de nos collaborateurs, nous a permis d’être en mesure d’aider nos chrétiens à Alep. Nous souhaitons que la Nouvelle Année puisse apporter avec elle, la Paix et la Concorde pour notre bonheur et pour celui de tous les hommes de bonne volonté. ‘’
Plusieurs amis et fidèles demandent de nos nouvelles. Je les remercie vivement et tout en leur souhaitant un joyeux Noël, j’ai le plaisir de répondre à leur souhait comme suit.
Nous sommes aujourd’hui, à la neuvième et au seuil de la dixième année de cette guerre folle et insensée, qui a détruit notre beau pays et mis en désarroi nos bien-aimés fidèles, pour éparpiller un grand nombre d’entre eux dans des contrées lointaines et souvent étrangères à leur culture, à leurs mœurs et à leurs coutumes. Il est vrai que la bonne éducation qu’ils ont pu recevoir à Alep et leur identité chrétienne rend leur intégration, dans les sociétés accueillantes en Occident moins difficile, néanmoins cette sorte d’exil, qu’ils ont dû subir, reste marqué pour beaucoup d’entre eux, d’amertume et de nostalgie: – l’amertume d’une vie à recommencer de presque zéro, avec les incertitudes de lendemains imprévisibles et – la nostalgie d’une terre merveilleuse modelée par des siècles de civilisation prospère qui les avait vu naître et prospérer et grandir et d’une patrie qu’ils avaient tant aimée et qui les perd à tout jamais. Il faut dire en même temps que leur départ a été un malheur pour l’Eglise, il a fortement affaibli la présence chrétienne, en Syrie en général et plus particulièrement à Alep, qui a perdu plus de la moitié de ses fidèles.
Durant ces longues années d’épreuve, nous avons été très peinés de voir cette belle Communauté Chrétienne d’Alep s’effriter et perdre, jour après jour, le meilleur de ce qu’elle avait pu préparer pour l’essor d’une Église vivante et témoin de la Résurrection. Ces croyants fidèles étaient attendus dans ce cher pays, il fut un jour le berceau du Christianisme et nombre de ses citoyens attendent, depuis des siècles, ces temps nouveaux « de la parole libérée », pour pouvoir entendre un jour supposé imminent et de plus en plus proche, l’annonce de la Bonne Nouvelle, que les Chrétiens d’Orient étaient censés leur apporter. Nous avons malgré tout fait de notre mieux pour faire face à ce fléau dévastateur. Avec un bon nombre de croyants, soucieux de la présence vitale de l’Eglise en Syrie, nous nous sommes mobilisés pour contrer le courant et donner à ceux qui sont restés, des raisons de croire en un avenir clément pour leurs enfants et à l’importance de leur présence salutaire dans le pays.
Aujourd’hui nous avançons péniblement, contre vents et marées, pour aider nos fidèles à bien s’établir pour continuer à vivre sereinement, là où le Seigneur leur à donné de voir le jour: nous leur communiquons un discours d’Espérance et de confiance en Dieu; nous offrons à ceux qui sont restés, ce dont nous disposons pour rendre leur quotidien un peu moins difficile et en même temps, nous aidons au retour ceux qui le désirent. Grâce au soutien d’un bon nombre d’amis bienfaiteurs, cette année qui vient de s’écouler a quand même été une année pleine de consolations et de miséricorde.
– Nous constatons avec joie que notre projet « RETOUR » a pu faire tâche d’huile. En effet nous avons pu aider plus de 125 émigrants à retourner des Amériques ou même d’Europe chez eux, ce qui a porté un bon nombre de ceux qui sont restés, à reconsidérer leur projet de départ et a ralenti, par le fait même, le flot des départs vers l’étranger, tout en encourageant les déplacés dans les pays avoisinants à rentrer chez eux. Il est vrai que l’action que nous menons dans ce sens a pu sembler donquichottesque pour certains et vaine pour d’autres, cependant les résultats nous donnent quand même la satisfaction d’avoir atteint quelques résultats significatifs: le retour d’un bon nombre, le ralentissement des départs, le ralliement de certains critiques à notre action et surtout la confirmation par les faits, que notre appel à la présence chrétienne dans le pays, ne se limite pas aux paroles et à la rhétorique.
– Le mouvement « BÂTIR pour RESTER » a grandi et pris un essor plutôt encourageant. Les services qu’il a pu rendre aux jeunes et aux moins jeunes de nos Communautés Chrétiennes d’Alep sont appréciables et significatifs. Il a participé, avec ses moyens plutôt modestes et limités, à la réédification d’une société malmenée déstructurée et appauvrie à tout point de vue. « Bâtir pour Rester » a pu en cette année qui vient de s’écouler offrire une formation à plus de 200 jeunes filles et jeunes gens dans les différentes branches de ses Instituts professionnels d’arts et de métiers. Son bureau de soutien aux petits projets a pu augmenter ses prestations et dépasser le nombre de 320 prêts gratuits octroyés. Son Comité en charge de la restauration des maisons endommagées par la guerre a rejoint le nombre significatif de 1500 habitations remises en état. 57 appartements vandalisés par les rebelles ont pu bénéficier d’un ameublement tout neuf, fabriqué par la section menuiserie de l’Institut de formation aux métiers. Les clefs de soixante six appartements, bien finis, d’un nouvel immeuble, viennent d’être mises à la disposition de nos jeunes familles de la classe populaire. Un nouveau projet d’habitat a été lancé il y a cinq mois et devrait donner d’ici un an un logement confortable à 90 couples de nouveaux mariés aux revenus modestes. Après le CFA « Cercle de la Femme Aleppine », Une École de Chant et de Musique vient de voir le jour à l’intention de nos adolescents et nous espérons que cette École puisse trouver autant de succès que le CFA qui ne désemplit pas et rayonne dans la ville.
– Il est évident que cette action menée, en vue d’un mieux-être à venir de nos fidèles, ne nous détourne pas de notre devoir premier de les aider à affronter les contraintes de leur quotidien devenu pesant et pénible à cause de la guerre. Nous avons continué à leur offrir ce que nous réussissons à récolter pour les aider à traverser le désert du chômage forcé que beaucoup d’entre eux subissent avec amertume. Nous n’avons pas arrêté de subventionner les scolarités de leurs enfants. Nous essayons d’aider les moins favorisés d’entre eux à trouver de quoi manger, en leur offrant régulièrement des bons d’achat de produits alimentaires, nous assurons en même temps aux familles de quoi se réchauffer l’hiver. Les jeunes foyers sont soutenus d’une façon concrète, quatre ans durant, à nourrir et à prendre soin de leurs bébés. Les orphelins, les veuves et les anciens sont répertoriés pour être régulièrement visités et assistés. Un Centre Médical moderne et généreusement équipé est ouvert en permanence, il dispose de 14 spécialisations et en supplément, d’une clinique dentaire et rend des soins gratuits à des centaines de patients chaque semaine.
Avec tout cela, la Pastorale n’a pas été négligée pour autant. Les 16 prêtres du diocèse, aidés par les religieux et religieuses, les diacres et un grand nombre de laïcs engagés, ont fait un travail merveilleux auprès des petits et des grands. Grâce à Dieu nos Églises et nos espaces pastoraux ne désemplissent pas. Nos centres de catéchèse sont pleins d’enfants et nos nombreuses Confréries de piété et de prières hebdomadaires, rassemblent dans nos différentes paroisses un grand nombre d’adultes. Nos mouvements de jeunesse chrétienne sont multiples et variés, ils rassemblent toutes les semaines autour des Églises des centaines de jeunes gens et de jeunes filles et nous ne sommes pas surpris de voir éclore parmi eux un grand nombre de vocations. Le diocèse est heureux d’avoir aujourd’hui 6 grands séminaristes et plusieurs vocations à la vie religieuse.
Merci Seigneur pour toutes ces grâces que vous n’arrêtez de nous donner, en ces temps de désolation humaine et d’épreuves matérielles. Notre ville d’Alep, une des villes les plus célèbres et anciennes du monde, fut pendant des siècles le fleuron de la culture, des arts et du commerce international. Malheureusement, cette guerre sauvage qui l’a malmenée durant près de dix ans, l’a démoli et détruit ses écoles, ses vestiges, son commerce et ses usines. L’indigence et l’insécurité ont poussé un grand nombre de ses citoyens à s’expatrier, mais ‘Dieu soit loué’ tout n’est pas perdu, Sa Divine Providence a sauvegardé un reste significatif de citoyens motivés et de chrétiens engagés, souche solide d’une renaissance possible et qui s’annonce florissante et pleine de promesses. Heureusement, nos fidèles n’ont point oublié le Moto de leurs aïeux face aux contrariétés de l’histoire: » levez-vous le Christ est avec nous », et se le répètent constamment en ces temps d’épreuve. « Deo Gratias » et que le Seigneur soit loué dans sa Miséricorde et son ineffable bonté.
Noël 2019 +Métropolite Jean-Clément Jeanbart.
Archevêque d’Alep