Soirée de partage sur l’actualité (28 nov 2024) : LA FIN DE VIE
I – Point sur le projet de loi « fin de vie » (présentation par Yves Roger-Machart)
Pourquoi ce sujet ?
Chacun est concerné et peut aborder ce sujet, puisqu’on y est tous confrontés un jour ou l’autre.
Par ailleurs, notre société française s’apprête, à travers le vote d’une nouvelle loi, à bouleverser radicalement sa vision anthropologique.
« L’aide à mourir » devait être votée fin juin ou début juillet 2024, mais la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin a ramené à zéro le processus de vote ; réjouissant les opposants, ses promoteurs se lamentant.
Mais un nouvel examen par l’Assemblée Nationale est prévu pour fin janvier 2025.
1) Retour en arrière : Le début des soins palliatifs.
- En 1986 à Paris, la première unité de soins palliatifs (USP) française est ouverte par le Dr Maurice Abiven, pour « accompagner et soigner (ensemble) les patients en fin de vie ».
Ce docteur Abiven, décédé aujourd’hui, était le frère de Madeleine Nazarenko, paroissienne de Saint Augustin que la plupart d’entre nous connaissent bien. - A partir de là s’est créée la SFAP, Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs, qui regroupe aujourd’hui plus de 10 000 soignants, 350 associations d’accompagnement, et quelques 25 000 membres.
- Puis une loi de 1999, votée à l’unanimité, a officialisé la création des centres de soins palliatifs ; elle vient en principe garantir un droit d’accès aux soins palliatifs pour toute personne en fin de vie, en institution, ou à domicile via des professionnels libéraux.
- Aujourd’hui, à Rennes et aux alentours, il existe plusieurs Centres de soins palliatifs : au CHU et au Centre Eugène Marquis à Villejean, à La Touvrais et à la clinique Saint Laurent, à l’hôpital privé de Saint Grégoire, et à Chantepie, sans compter le service de l’Hospitalisation à domicile de Rennes.
- La loi Leonetti de 2005, elle aussi votée à l’unanimité, vient ensuite compléter cette première loi de 1999, mais concerne plus largement la fin de vie:
-Elle met en garde les médecins comme les patients contre l’obstination déraisonnable dans les actes de soins (Article 1).
-Elle fait obligation au médecin de respecter la volonté du patient s’il décide de limiter ou d’arrêter un traitement, en cas de maladie grave ou incurable (Article 6).
-Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives concernant « les conditions de la limitation ou de l’arrêt de traitement, sont révocables à tout moment (Article 7).
-Lorsqu’une personne (en fin de vie) a désigné une personne de confiance, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical,
à l’exclusion des directives anticipées. (Article 8)
2) Évolution du cadre légal
- L’affaire Vincent Lambert. Après un accident de la route en 2008, l’homme est à 32 ans soigné en état de coma végétatif ; il est nourri artificiellement ; il ne communique plus : on parle d’état pauci-relationnel. On s’interroge sur sa souffrance, sur la réversibilité de son état, puis sur la notion d’acharnement thérapeutique puis d’obstination déraisonnable de soins, puis on s’interroge sur sa volonté de vivre.
Qui peut en décider pour lui : sa famille ou les médecins ? Son épouse ou ses parents ? Les tribunaux se prononcent à maintes reprises ; les évêques de Rhône-Alpes s’indignent d’une décision médicale risquant de provoquer délibérément la mort. L’arrêt des soins est mis en œuvre en juillet 2019 après 11 ans d’attention acharnée. Vincent meurt 10 jours plus tard. Une tragédie familiale, et un point marquant dans l’éthique, le droit judiciaire, la pratique médicale. Elle aura contribué à l’élaboration de la loi Claeys-Leonetti. - La loi Claeys-Leonetti (2016) renforce le droit d’accès aux soins de fin de vie, et met d’emblée comme objectif le droit d’avoir une fin de vie « accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » (Article 1), avec des soins qui « ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. » (Article 2).
Elle affirme le droit du malade à l’arrêt de tout traitement et au bénéfice de la sédation profonde et continue, jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Elle pose aussi le cadre de la procédure collégiale de la décision médicale. (Article 3).
Elle parle des directives anticipées, contraignantes pour le médecin, que l’on peut rédiger pour le cas où l’on serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté (Article 8).
Et elle parle de la personne de confiance que l’on peut désigner, et qui sera consultée si l’on n’est pas en état d’exprimer sa volonté (Article 9). Et dans ce cas, le médecin aura l’obligation de consulter la personne de confiance (Article 10).
3) Un nouveau projet de loi
Fallait-il aller plus loin ?
Les plus progressistes veulent donner au malade la maîtrise de sa décision, qui lui échappe dans le droit actuel. C’est en particulier la position de l’ADMD, l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité.
Les plus conservateurs voient dans les cas d’euthanasie ou de suicide assisté une gravissime violation de l’éthique humanitaire.
L’Église catholique y est opposée également.
En 2022-2023, une « Convention Citoyenne » sur la fin de vie, constituée à la demande du président de la république, s’est réunie à de nombreuses reprises au Conseil Économique et Social, et a ouvert la voie à un nouveau projet de loi incluant une « aide active à mourir ».
Le nouveau projet de loi, voulu par le président de la république, a été débattu à l’Assemblée Nationale en Avril-Mai dernier ; de 20 articles présentés par le gouvernement, , le projet est passé à 40 articles proposés par les députés, et la moitié des 40 articles est consacrée à « L’Aide à mourir »
Sa définition, à l’article22, est ainsi rédigée :
« L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne (en fin de vie) qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, (….) afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier ».
Dès son Article 2, le projet de loi crée des « maisons d’accompagnement qui ont pour objet d’accueillir et d’accompagner des personnes en fin de vie et leurs proches ». Ces maisons d’accompagnement délivrent des prestations réalisées par des équipes pluridisciplinaires, qui, sans que cela soit nommé, sont des euthanasies et des suicides assistés.
Dans les amendements proposés par les députés, il a même été proposé de créer une « maison d’accompagnement » par département à l’horizon 2034.
L’Article 37 du projet de loi révisé par les députés prévoit même un délit d’entrave à l’aide à mourir :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 Euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir(…) »
Les réactions au nouveau projet de loi
La SFAP, qui regroupe toutes les associations qui s’occupent de soins palliatifs, s’est très vivement opposée à ce projet de loi, en constatant que le texte élargit excessivement l’accès à la mort provoquée ; pour elle, il constitue un point de rupture majeur, en remettant en question le devoir fondamental de l’humanité de ne pas provoquer la mort, même à la demande de la personne.
Les évêques de France ont également exprimé leur hostilité au projet de loi, en réaffirmant le refus de la mort provoquée, et en priorisant les soins palliatifs.
Adrien Candiard, un Dominicain que j’aime beaucoup, disait dans une interview en juillet dernier , à propos du projet de loi: « En matière de sortie de la chrétienté et de sécularisation, une étape a été franchie ».
4) Quelle est l’attente des promoteurs de la nouvelle loi (et quelles sont les raisons de leurs opposants) ?
Arguments pour une nouvelle loi : « Je suis malade, c’est irréversible, je subis douloureusement les décisions venues du corps médical ; je ne dispose même pas de moi ! Je ne vais quand même pas me laisser dicter le choix d’un tiers ! La loi doit me laisser l’entière liberté de disposer de mon corps, de choisir ma fin de vie. Il faut pour cela, bien sûr, qu’on m’assure du concours des personnels médicaux nécessaires pour accomplir le geste, donc le financer et d’abord au moins le décriminaliser ».
Arguments hostiles : on risque de générer des actes insensés, de bouleverser nos repères éthiques, aussi bien pour les soignés et leurs famille que pour les soignants ; ce geste de conférer la mort ouvre la porte à l’euthanasie pour différentes mauvaises raisons possibles de la part du patient : fatigue de subir des soins, choix désespéré, auquel on sait pourtant qu’il est, le plus souvent, renoncé lorsqu’on peut disposer de soins palliatifs ; « l’adhésion du patient à une euthanasie ou un suicide survient surtout lorsqu’il ressent sa précarité ; cette adhésion n’intervient plus quand un accompagnement lui est offert ». Ou de la part de son entourage : fatigue des accompagnants, manque de charité, avidité des héritiers dans la dévolution des biens…
5) Quelques réflexions
1.On ne peut pas refuser le droit à un malade de disposer de lui-même, s’il continue de souffrir malgré les soins qui lui sont prodigués.
2.Mais on ne meurt pas seul, jamais … L’administration d’une dose létale n’est pas une décision qui appartient à l’individu seul, mais à tous ses proches ; il n’est ni nécessaire ni moral d’ouvrir un droit individuel à se faire euthanasier …
3.Avec la loi Claeys-Léonetti, il y a déjà quasiment unanimité pour apprécier la possibilité de « sédation profonde et continue jusqu’au décès », par décision collégiale de l’équipe médicale des soins palliatifs.
La question est de bien définir le processus tendant à une décision consensuelle.
Le patient (ou sa famille) ne peut apprécier la situation que lors de sa maladie, « en situation » : son désir profond évolue au fil du temps, en même temps qu’évolue sa maladie.
Le mandat confié par le patient à un proche de confiance semble de ce point de vue prioritaire par rapport aux directives anticipées, qui n’auront pu anticiper l’évolution de la maladie.
L’injection létale semble donc pouvoir être admise comme un bienfait, mais par exception au principe d’interdiction de l’euthanasie, et seulement à l’issue d’un processus collectif, peut-être à mieux définir. Dans la pratique actuelle à l’issue de soins palliatifs, il y a bien une décision collégiale, mais de la seule équipe médicale. Ce qui serait nouveau et bénéfique serait d’y associer formellement le patient et ses proches (« la famille »).
6) Aspects budgétaires
Le budget de l’État ne permet même pas aujourd’hui d’avoir des centres de soins palliatifs dans tous les départements français, et seule la moitié des personnes en fin de vie peuvent y accéder.
Le coût d’une journée d’hospitalisation en soins palliatifs serait de 985 Euros.
Si le projet de loi est voté, il obligera l’État à ouvrir des « maisons d’accompagnement », en plus des centres de soins palliatifs déjà insuffisants.
Mais surtout, il est à craindre que des pressions sociales ne soient exercées de multiples façons sur les personnes les plus vulnérables de la société pour qu’elles sollicitent l’accès aux « maisons d’accompagnement » qui permettront de raccourcir les périodes de soins en fin de vie, et de faire des économies budgétaires.
II – Synthèse des échanges en groupes
Ces échanges en groupe ont été très riches de témoignages sur les situations vécues et sur ce sujet difficile à aborder, autour de 3 questions :
1) Avons-nous vécu des fins de vies de proches qui nous ont marqués, en positif et/ou en négatif, dans notre foi ?
Des proches ont-ils été marqués par le décès d’un parent, d’un conjoint, d’un enfant… ?
– une personne gravement blessée inconsciente : une décision de non acharnement a été prise collégialement entre famille et médecins.
– hospitalisation avec cas de démence : décision de sédation profonde très rapide, sans avis familial : impression de régler le sort d’un malade indésirable.
– une personne inscrite à l’ADMD : lors de son hospitalisation, elle n’a jamais demandé une mort rapide et a bénéficié de soins palliatifs et d’un accompagnement.
– 1 personne au bout de rouleau atteinte d’un cancer dit « qu’il a fait sa « vie » et demande d’entrer en soins palliatifs puis fait savoir à sa famille qu’il est prêt à mourir en demandant une sédation profonde. Est parti en 2 jours .Sa lucidité a impressionné et interrogé ses proches quant à sa volonté de partir si rapidement.
– Cas d’un AVC avec impossibilité de sortir d’une paralysie si le malade se réveille. Décision familiale : arrêter les soins en pensant que la personne malade ne supporterait pas sa paralysie : le malade se voit donc embarqué dans une décision qui ne lui appartient pas. Cela n’est pas toujours facile d’aborder directement la question de la mort imminente.
– maladie de Charcot : se poser la question d’un pronostic futur et réfléchir en famille sur le futur du malade .
– 7 Ans Alzheimer : Je n’en peux plus, je ne veux plus vivre. Directives anticipées mais si une personne s’oppose , les médecins ne font rien.
– les malades reconnus dans leur souffrance physique mais aussi mentale, s’ils sont bien entourés, veulent rarement « partir » brutalement d’où l’importance de donner l’autorisation de partir.
– d’une façon générale , il faut qu’on puisse choisir mais devant l’ambiguité d’une demande d’aide à mourir, l’information de l’entourage est fondamental.
2) Qu’attendons-nous de la législation sur ce sujet de la fin de vie (soins palliatifs, aide à mourir) ? Pratiquons-nous les « directives anticipées » proposées par la loi Claeys-Léonetti de 2016 ?
– le médecin ne doit pas prendre une décision seul, il faut une décision collégiale de l’équipe médicale en concertation avec le malade et sa famille.
.La loi Claeys- Leonetti est cadrée et semble être respectée : à quoi bon faire une nouvelle loi ? – Étendre les soins palliatifs : les soins palliatifs permettent une fin de vie contrôlée mais leur coût (1000E/jour) pose un problème du budget de la sécu.
– l’aide à mourir dépend de la personne, on ne voit pas pourquoi on le lui refuserait.
– en discuter avec ses proches avant de prendre la décision.
– pour les directives anticipées, attention à leur contenu à renouveler tous les 3 ans car on peut changer d’avis ce qui peut déterminer la décision des médecins. Très important est de citer une personne de confiance
3) Que pensons-nous de la position de l’Église sur la fin de vie ?
– L’Église apparait timide dans sa position : nous pensons que dans certains cas, il faut aller vers la sédation profonde
– pas d’unanimité dans l’Église
– approche trop dogmatique, pas assez pastorale et individuelle, on aimerait que l’Église donne plus
de critères de discernement
– l’Église n’est pas pour l’acharnement thérapeutique
– plutôt en phase avec la loi Claeys-Leonetti 2016
III – Conclusion de notre curé Jean Claude Lemaître
Il est primordial de bien prendre en compte la dimension humaine de l’accompagnement des patients en fin de vie, notamment sur le plan mental et/ou spirituel, dans le respect de leurs convictions.
Aussi, quel que soit son choix, il faut garder un lien fort et bienveillant avec la personne malade.
Pour autant, dans les cas d’euthanasie ou de suicide assisté, l’Église garde une position stricte : une personne qui fait ce choix ne peut pas recevoir les sacrements de la Pénitence, avec l’absolution et l’Onction des malades, ainsi que du Viatique. Le patient pourra recevoir ces sacrements lorsque sa volonté de prendre des mesures concrètes permettra au ministre de conclure qu’il a modifié sa décision.( texte Doctrine de la foi juillet 2020).
Mais ce qui ressort de tous nos échanges, et quelles que soient nos postions sur l’aide à mourir, c’est l’importance du dialogue entre le personnel médical , le patient et sa famille.
IV – Pièces jointes pour creuser le sujet
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