Des nouvelles d’Antoine Exelmans à Oujda
Quelques nouvelles de l’Accueil Migrants à Oujda
Bonjour,
Quelques nouvelles du Maroc et de l’actualité de notre accueil des migrants.
L’été a été très chargé à Oujda avec une forte augmentation du nombre de personnes accueillies dans une ambiance toujours marquée par les contraintes de Covid et avec une équipe d’accueil réduite (vacances et arrêt maladie pour cause de covid). , en particulier un grand nombre de soudanais, ne parlant souvent qu’arabe, avec beaucoup de malades et blessés parmi eux et faisant le choix de rester à Oujda en attendant la suite de leur programme vers la frontière espagnole de Melilla. Cela a provoqué pas mal de tensions aux portes de l’accueil Migrants Oujda jusqu’à ce que les autorités marocaines prennent des décisions de reconduite à la frontière qui ont contribué à la dispersion de ces centaines de soudanais squattant le quartier. Ils restent nombreux mais plus dispersés.
Depuis début septembre, nous sommes en transition avec quelques changements dans l’équipe à Oujda : la sœur Rachel finalement est restée en France pour une nouvelle mission confiée par sa congrégation. En octobre, les 2 maîtres de maison maliens, Adama et Moussa, qui nous accompagnaient depuis plusieurs années ont pris la décision de poursuivre leur programme. Ibrahim qui pilotait l’accueil d’urgence repartira vers le Tchad avec OIM (Organisation Internationale des migrations) dès que les vols seront ouverts. Nos 2 médecins Xavier et Quintino étaient forts occupés toutes ces dernières semaines avec les nouvelles arrivées dont un certain nombre en provenance de Rabat, Casablanca ou des zones frontières avec l’Espagne : blessés, malades, traumatisés… Il est urgent que les autres villes du Maroc proposent des solutions d’accueil et d’accompagnement pour ces malades qui jusqu’ici ne voient pas de solution pour eux en dehors d’Oujda. Edwin, prêtre kényan de la congrégation de la Consolata venu en novembre 2020 pour partager notre projet d’accueil des migrants a été rejoint par Francesco (un prêtre italien de 76 ans) en juillet de la même congrégation. Ils attendent toujours un 3ème prêtre (congolais de 35 ans) qui doit les rejoindre…
Jusqu’à maintenant, la reprise des formations professionnelles est très fragile avec peu de candidats chez les jeunes, un mouvement de départ des anciens vers Rabat et Casablanca, et en fait peu de propositions significatives du côté des centres de formation à Oujda. La question est posée de soutenir des jeunes en formation à Rabat dans des formations de 3 mois plus adaptées à leurs aspirations mêmes si elles sont moins qualifiantes.
Nous avons mené quelques opérations « commando » en juillet-août et septembre pour libérer des jeunes séquestrés dans des maisons louées par des chairmen subsahariens (accueil à l’arrivée au Maroc en provenance d’Algérie et libération quand les droits de ghetto sont payés : 50, 100 ou 150 euros…).
Nous accompagnons toujours beaucoup de jeunes dans leur projet de retour volontaire dans leur pays d’origine. Des décisions difficiles à prendre, avec beaucoup de stress et d’inquiétudes, des besoins aussi d’arriver chez eux avec un minimum de dignité (vêtements, chaussures, sac, téléphone…) sans compter parfois le suivi des problèmes médicaux, en particulier psychiatriques. Nous essayons de le faire en particulier pour la Guinée, en lien avec une plateforme d’associations à Conakry.
Depuis janvier, nous avons pas mal galéré au niveau des soutiens financiers. Des aides sont venues d’Italie pendant quelques mois grâce au relais du Père Cristobal, le temps de monter des projets de financement avec des bailleurs internationaux. Mais on sent que la Covid a beaucoup fragilisé les
solidarités déjà vacillantes.
Par ailleurs, en septembre j’ai rejoint la paroisse de Casablanca, tout en gardant jusqu’à maintenant des liens forts avec Oujda avec une transition qui prend du temps et de l’énergie. Nouvelle expérience très différente avec dans la tête et dans le programme au quotidien toujours le suivi des jeunes migrants qui vivent à Rabat (en particulier les jeunes mineurs, ceux que nous accompagnons dans la formation professionnelle ou la transition vers l’emploi : accompagnement très lourd car le contexte n’est pas du tout porteur, surtout pour des sans-papiers et en période de covid. Beaucoup de souffrances, de découragements, de déprimes et de bascules dans des problèmes psychiatriques qui demandent énergie, espérance et soutien pour sécuriser des parcours de vie qui deviennent très fragiles, avec peu de personnes ressources ou d’associations en appui.
A Casablanca, c’est la relance de la Caritas paroissiale, en partenariat avec des acteurs associatifs pour des situations à la fois similaires à Oujda mais aussi très différentes. Mais toujours des vies très précaires et de la souffrance physique et psychiques, des espoirs déçus après des forcings à la frontière espagnole, des découragements qui fabriquent de la violence et font des dégâts dans la vie de ces jeunes, des impasses dans les efforts de constructions de projets de vie… Nous essayons de construire une proposition d’accueil d’urgence à Casablanca mais le défi est grand.
Dans l’immédiat, outre les besoins habituels de l’accueil migrants Oujda, il y a donc les besoins de ces jeunes en formation à Rabat, le suivi des jeunes en difficultés psychologiques et psychiatriques à Rabat et Casablanca qu’il faut protéger avec un « filet de sécurité » (logement alimentation, médicaments…) tout en essayant de construire un suivi médical en lien avec l’hôpital psychiatrique et un accompagnement psychologique, et des projets de retour volontaire au pays avec OIM ou de formation sur place en attendant que la décision de retour fasse son chemin dans les têtes.
J’accompagne de manière spécifique à Casablanca 4 jeunes qui sont venus de Oujda pour habiter avec moi au presbytère de Casablanca, compte tenu de leur extrême fragilité (situation de stress post traumatique avec somatisations handicapantes pour reprendre une vie normale, dépression, stress… bref un besoin d’attention jour et nuit). J’essaie en ce moment de scolariser 2 d’entre eux pour passer le bac en français dans un lycée, ce qui suppose de surmonter les obstacles : sans papier, sans documents scolaire, sans argent pour payer des scolarités élevées pour le bac en français (2750 euros pour l’année au Petit collège de Rabat). Nous avons renoncé à la possibilité du lycée Lyautey à 6000 euros l’année !). S’ajoute la question de l’hébergement (logement et alimentation + vêtements « dignes » pour l’école et du suivi multiformes pour la réussite de la scolarité…
Voilà rapidement esquissés les nouveaux défis… Chaque année apporte ses joies mais aussi les cris de détresse de nouveaux migrants, avec toujours plus de très jeunes migrants pour lesquels nous sommes très démunis…
Voilà pourquoi nos appels à la solidarité sont plus que jamais d’actualité.
Je reste disponible pour vous partager un peu plus, en zoom par exemple, pour illustrer notre quotidien.
Fraternellement
Au nom de l’équipe de l’Accueil Migrants Oujda
Père Antoine Exelmans