Des nouvelles d’Antoine Exelmans à Oujda
Quelques nouvelles de l’Accueil Migrants à Oujda
Les semaines passent à toute vitesse sans trouver le temps de donner des nouvelles. Je m’en excuse mais réellement nous sommes sous pression depuis le début de la crise Covid. La 1ère étape de confinement à partir de la mi-mars a été très rude, avec énormément de travail pour l’accueil de personnes restées bloquées à Oujda sans solution d’hébergement et sans ressources, pour le soutien à Oujda et Rabat de centaines de personnes désemparées. Nous avons pu faire face avec une équipe réduite et le soutien de beaucoup qui a permis de traverser cette première phase jusqu’à la reprise des déplacements entre les villes début juillet. Nous avons hébergé jusqu’à 140 personnes alors à l’église, sans compter les appuis énormes à l’extérieur.
Mais finalement, depuis juillet, le rythme est resté très soutenu avec beaucoup de passages, de nouveaux arrivés d’Algérie toujours en grande précarité qui demandent assistance dans l’urgence, mais aussi le retour à Oujda de personnes accueillies dans le passé, en recherche de soutien et de réconfort.
- En particulier nous sommes très inquiets du grand nombre de très jeunes (13-15 ans), le plus souvent guinéens, qui débarquent sans vrai programme et sans capacité de se débrouiller ; d’autant que les réponses des institutions qui s’occupent des migrants sont quasi-nulles pour ce public.
- Nous accueillons toujours beaucoup de malades et de blessés, nouveaux venus au Maroc ou en besoin de soins en provenance de Rabat le plus souvent. Des personnes qui vont rester chez nous pour plusieurs semaines ou plusieurs mois en convalescence (fractures, blessures, opérations chirurgicales, tuberculose et autres pathologies demandant attention et fraternité…).
- Nous prenons en charge de plus en plus de jeunes en demande de retour volontaire, fatigués de l’aventure migratoire qui écrase et détruit les rêves, les espérances et les personnes… Nous essayons de construire en lien avec le pays d’origine, pour le moment principalement la Guinée, des accompagnements de ceux qui choisissent de rentrer ou ont été refoulé au pays.
- Nous continuons à accompagner des jeunes en formation professionnelle dans un contexte très défavorable (mise en pause des structures de formation et des partenaires, difficultés de motivation des jeunes dans un environnement où domine incertitude et stress, désengagement de ceux qui nous soutenaient financièrement pour cause de difficultés liées à la covid…). En interne nous poursuivons le soutien scolaire et l’alphabétisation. Et nous assurons le suivi de ceux qui ont terminé leur formation et qui galèrent pour trouver un boulot à Rabat ou Casablanca, sans avoir de carte de séjour, dans un environnement économique extrêmement dégradé.
Dans ce contexte, l’Accueil Migrants Oujda reste concentré sur sa mission : ACCUEILLIR, PROTÉGER, PROMOUVOIR et INTÉGRER, 4 verbes chers au Pape François et qui disent bien nos orientations.
La crise Covid vient compliquer l’accueil et la protection :
ACCUEILLIR + de monde, fournir le nécessaire pour retrouver la capacité de poursuivre la route : se laver, trouver des vêtements propres (et chauds !), manger, dormir, reprendre des forces avec souvent l’aide d’un médecin et de médicaments… Mais aussi de l’écoute, de la fraternité, du réconfort, un soutien pour discerner ce qui est possible…
PROTÉGER dans un environnement plus hostile, avec toujours beaucoup de violence dans le quotidien de la route migratoire, avec le froid qui s’installe pour plusieurs mois, l’obligation de limiter l’accueil dans la durée à l’église à Oujda et donc la nécessité d’aider des personnes sans ressources à voyager pour rejoindre des villes où construire la suite du programme (150dh pour Rabat), et à trouver un hébergement pour sécuriser les plus vulnérables le 1er mois au Maroc (200dh à Rabat). Protéger en particulier ces très jeunes mineurs (13-15 ans) en accompagnant les premières semaines de vie au Maroc…
PROMOUVOIR, c’est pour nous essayer de construire de meilleures conditions de vie pour ceux que nous accompagnons, pour aujourd’hui et pour demain, en lien avec les partenaires, dans les turbulences de la crise Covid. Cette promotion reste très difficile avec d’énormes changements de mentalité à vivre pour que la mondialisation devienne fraternelle. La précarité économique accentue les réflexes de peurs et de racisme et décourage les solidarités. Nous sommes là devant un combat prophétique à mener avec encore plus de courage et d’audace, quand les portes se ferment et que la société se met en pause. Les visages des jeunes constituent nos moteurs : ils nous convoquent à un engagement sans faille, malgré nos fragilités et nos doutes.
INTEGRER reste bien l’objectif final pour chacun des jeunes qui passe par l’Accueil Migrants d’Oujda : que demain il trouve sa place dans une société plus fraternelle. Le Maroc peine à proposer de véritables chemins d’intégration. L’Europe aussi. Les pays d’origine ne sont qu’au début de cette réflexion. Mais tous nous sommes appelés à faire de cet objectif une priorité. C’est cette intégration qui fera de l’aventure migratoire un succès et non un récit de souffrances. Nous sommes ensemble pour cela.
Enfin, dans notre actualité, il y aura dans quelques jours (10 décembre) la remise (à distance) du Prix de la paix de la ville d’Aix La Chapelle pour le travail auprès des migrants les plus vulnérables, comme témoignage d’un engagement de terrain au service de la justice qui contribue à construire la paix. C’est une fierté pour toute notre équipe et une joie pour les personnes migrantes qui voient mises en lumière leurs difficultés et leurs souffrances avec un appel à construire une mondialisation plus fraternelle. Merci à nos amis allemands qui nous soutiennent au quotidien d’avoir fait le relais pour que brillent « les lumières d’Oujda » (titre d’un roman de Marc Alexandre Oho Bambe, passé à Oujda et qui retrace, entre réalité et fiction, un peu de ce que nous vivons ici).
Nos besoins…
La crise Covid a multiplié les détresses, la précarité, les difficultés du quotidien pour trouver de quoi payer le loyer ou se nourrir… Toujours beaucoup (beaucoup trop) de demandes d’assistances pour ces besoins vitaux.
Le froid qui frappe à Oujda, mais dans tout le Maroc, exige couvertures, blousons, bonnets (0.7 €)
euros, chaussettes, chaussures… Nous faisons les friperies à Oujda pour trouver pas cher les blousons qui viennent d’Europe pour équiper les jeunes (10 € le blouson)…
Les plus jeunes (13-15 ans) se retrouvent quasiment sans assistance. En attendant que le flot diminue (quand ?), nous sommes convoqués à un accueil et un accompagnement pour sécuriser leur premier mois au Maroc (vêtements, transport, logement pour 1 mois, environ 65 € par jeune)
Le soutien pour les jeunes en formation professionnelle est actuellement très difficile à trouver (logement, nourriture, transport pour les stages… environ 100 € par mois).
L’aide au transport (15 €) et au logement (20€) pour sécuriser le 1er mois au Maroc concerne de plus en plus de jeunes (nous voyons passer actuellement par l’Accueil Migrants plus de 100 jeunes par mois contre 50 en janvier).
L’assistance pour la santé reste une préoccupation même si nous avons là des partenaires fidèles. Avoir mal aux dents, être blessé ou malade quand on vit dans l’incertitude du lendemain est redoutable.
Voici donc un résumé de notre quotidien et de nos préoccupations. Merci à vous pour votre attention et votre bienveillance pour que « le monde d’après » que tous appellent de leur vœu commencent maintenant à Oujda !
Fraternellement
Au nom de l’équipe de l’Accueil Migrants Oujda
Père Antoine Exelmans