Oujda, nouvelles de l’accueil des migrants
Chers amis,
Un petit clin d’œil de Oujda avec le regret de ne pas communiquer davantage sur tout ce que nous vivons. En ce début de Carême qui nous oriente vers la lumière de Pâques que nous désirons pour tous et en particulier pour les plus fragiles, je joins quelques nouvelles générales de notre quotidien et j’ajoute ensuite, en vrac, quelques informations pour illustrer ce qui fait la chair de notre vie fraternelle ici. Bonne route vers Pâques.
Fraternellement
Antoine
Quelques nouvelles de l’Accueil Migrants Oujda (AMO)
Oujda, le 28 février 2020,
Chers amis,
Nous poursuivons l’accueil 7j/7 et 24h/24 des personnes qui frappent à la porte, en provenance d’Algérie (souvent en situation de grande précarité) ou en provenance du Maroc (personnes refoulées à la frontière algérienne, personnes désirant repasser en Algérie pour trouver du travail ou rentrer au pays, personnes demandant un appui pour se soigner ou faire face à leurs difficultés).Nous assurons l’accompagnement de personnes malades et blessées. En particulier, depuis plusieurs mois, nous hébergeons
– 3 malades de la tuberculose qui sont maintenant en fin de traitement,
– 1 jeune qui vient de finir de soigner son hépatite,
– 1 jeune femme qui a vécu un drame lors du passage de la frontière (enfant décédé in utéro et pieds et mains gelées lors du passage dans la neige avec nécessité d’amputation),
– plusieurs jeunes avec des fractures des jambes (au passage de la frontière).
Nous avons aussi accueilli plusieurs mineurs blessés lors de l’accident du taxi-mafia qui les amenait de la frontière à Oujda (fractures diverses), en lien avec les autorités marocaines (gendarmerie, juge des mineurs…). Nous avons maintenant 2 médecins subsahariens dans l’équipe qui font le lien avec les centres de santé, surtout pour le suivi des opérations chirurgicales et les complications de certaines pathologies (otites, gale et dermatoses associées, soins dentaires…). Plusieurs personnes font également l’accompagnement vers les centres de santé.
Nous accueillons aussi régulièrement des personnes plus fragiles, en attente de retour dans leur pays, qui ont beaucoup souffert dans l’aventure migratoire et sont parfois très marquées psychologiquement (ou même avec des pathologies psychiatriques) ; dans ce cadre nous essayons de construire le programme de retour des 2 plus jeunes de la maison, 2 enfants camerounais de 7 et 9 ans.
Nous soutenons des démarches auprès des autorités marocaines pour des dépôts de plainte (pour escroquerie dans l’aventure migratoire, violences, viols…). La plupart du temps, ces personnes sédentarisées à cause de la maladie ou des blessures peuvent bénéficier des cours de soutien en français, ou d’une alphabétisation, tout comme les mineurs les plus jeunes qui n’ont pas de programme au Maroc et que nous accueillons le temps de leur apprendre à lire et à écrire. Ces ateliers d’alphabétisation, de soutien scolaire (français, math, espagnol, informatique, anglais…) sont gérés par une équipe de bénévoles (1 directrice d’école primaire à la retraite depuis peu ; 2 coopérantes françaises à Oujda présentes au titre d’autres associations et pour quelques mois en appui pédagogique chez nous, 2 religieuses espagnoles qui ont rejoint notre équipe en octobre 2019, des étudiants(tes)…Parmi les bénéficiaires de ce soutien scolaire, il y a aussi les jeunes en formation professionnelle à Oujda dans différentes lieux :
– 2 enfants de 7 et 9 ans à l’école primaire,
– 1 jeune d e16 ans au collège,
– 1 jeune de 16 ans au collège pour les aveugles et mal voyant car il est presque aveugle,
– 1 jeune en coiffure (école privée)
– 1 jeune en formation d’infirmier anesthésiste (école privée)
– 2 jeunes en rattrapage scolaire et initiation à la pâtisserie (école de la 2ème chance)
– 8 jeunes en électricité bâtiment (pour 1 an)
– 2 jeunes en mécanique (pour 2 ans)
– 3 jeunes en pâtisserie (pour 1 an)
– 3 jeunes viennent de finir leur formation et sont toujours avec nous pour construire la suite de leur programme (au Maroc ou avec un retour au pays).
Nous accompagnons ces recherches d’emploi à Rabat ou Casablanca et nous commençons à accompagner des projets d’insertion professionnelle dans le pays d’origine.
– 6 jeunes vont commencer le 2 mars une formation de 4 mois en plomberie à Oujda avec, pour la moitié d’entre eux, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Nous accompagnons aussi pédagogiquement et financièrement
– 7 jeunes en formation professionnelle à Rabat
– 11 jeunes en formation professionnelle en électricité bâtiment et panneaux solaires à Kénitra.
– 1 jeune va les rejoindre le 2 mars à Kénitra pour 6 mois de formation pré-professionnelle.
Notre maison est donc toujours bien remplie entre les personnes de passage et les résidents (courte, moyenne ou longue durée). Plus concrètement, entre le presbytère, l’appartement des mineurs (15 places) et l’appartement loué dans la médina (7 places), nous assurons quotidiennement la pension complète pour environ 50 personnes à l’église à Oujda + les 11 de Kénitra et un soutien alimentaire et pour le loyer à 1 dizaine de jeunes (Oujda et Rabat).Nous restons en lien avec beaucoup de jeunes passés en Europe ou retournés au pays, volontairement ou non, mais aussi avec ceux qui sont passés à Oujda à l’église et nous recontactent au fil des difficultés qu’ils rencontrent dans leur aventure migratoire. Vous imaginez que toute cette énergie est donnée par une équipe, actuellement composée d’une vingtaine de personnes originaires de + de 10 pays, catholiques, protestants, musulmans, des étudiants, des migrants, 2 religieuses et 1 prêtre…Notre fonctionnement est porté par plusieurs partenaires (Eglise catholique et Eglise protestante avec leurs soutiens souvent européens), des partenaires marocains, les amis… et bien sûr aussi par la Providence, avec le soutien de ceux qui passent à l’église à Oujda et se réjouissent comme nous de ce qui se vit ici de fraternité et de solidarité.
Nos dépenses se répartissent entre
– La vie quotidienne (partie croissante avec le soutien des personnes sédentarisées à l’église ou soutenues à l’extérieur)
– L’entretien de la maison (des maisons et locaux d’accueil) et les charges afférentes.
– Le nécessaire pour des adolescents (vêtements, sports, loisirs culture, téléphone…)
– Les dépenses de santé
– Le matériel éducatif et pédagogique
– Le soutien financier ou en nature aux personnes de passage qui ont besoin d’être appuyée dans la grande précarité qu’elles connaissent au Maroc
– Une indemnisation très modeste des personnes les plus engagées au quotidien
Nous espérons que l’accueil et l’accompagnement, qui sont pour nous une belle expérience source de réflexion et d’engagement, permettront à la vie qui cherche son chemin de s’épanouir, à ceux qui souffrent de trouver dans cette fraternité un soutien et un encouragement. Nous sommes heureux de partager avec vous un peu de notre quotidien. Fraternellement
Au nom de l’équipe de l’Accueil Migrants Oujda
Antoine Exelmans
Flash sur le quotidien à l’Accueil Migrants Oujda
Les journées sont très chargées à Oujda et passent à toute vitesse. Dans une heure, je serai de conduite pour emmener une vingtaine de jeunes sur le terrain de foot. Ils rentreront à pied vers midi, fatigués et heureux. Le foot fait partie du rêve de tellement de ces jeunes. Et jouer dehors leur évite de démolir les dalles du plafond de la grande salle où ils ont interdiction d’utiliser un ballon. Je réfléchis à un filet et des raquettes de badminton moins dangereux pour le plafond !Nous venons de recevoir les premiers diplômes de… 2018 pour les mécaniciens formés avec l’Entraide Nationale à Oujda. Nous attendons ceux des pâtissiers de la même année. D’autant que maintenant ce sont pour eux les projets de retour au pays avec un accompagnement à construire avec l’Eglise catholique surtout en Guinée. La visite d’un évêque guinéen il y a quelques mois permet d’envisager une belle coopération dans ce sens pour les jeunes musulmans concernés. La formation des jeunes à Kénitra se poursuit avec de beaux fruits. Le travail de formation et d’éducation commencé à Oujda avec ces jeunes en fait des acteurs très appréciés de l’école où ils sont maintenant. En septembre une nouvelle promotion prendra le relais pour se former en électricité. Et déjà dimanche prochain , un jeune partira pour la formation préprofessionnelle et habitera avec la promotion actuelle. Il vient de passer 3 mois avec nous pour soigner son hépatite tout en assurant depuis 2 mois avec un de ses collègues le nettoyage quotidien des toilettes du presbytère, et cela à 7h du matin. Nous sommes heureux de voir les évolutions positives de nos malades qui redeviennent capable d’affronter la suite de leur parcours. Et heureux que 6 des plus jeunes (dont certains récemment arrivés disent avoir 13 ou 14 ans) puissent commencer lundi 4 mois de formation en plomberie à Oujda; nous savons que cette formation de 4 matinées par semaine ne sera pas une vraie solution mais c’est un outil pour l’accompagnement éducatif de ces mineurs et la possibilité de poursuivre en parallèle l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pour certains qui ne savaient qu’écrire leur nom en arrivant à l’église. Nous sommes particulièrement attentifs à nos malades les plus graves. En particulier Awa qui poursuit sa remontée après le décès de son enfant in utéro au passage de la frontière et les amputations des 2 avant-pieds et de phalanges suite à sa traversée dans la neige… Elle est courageuse et rejoindra le Cameroun dans quelques mois. Un autre jeune reste très marqué par l’accident de taxi mafia. Il est soigné dans un appartement où nous allons le visiter pour les soins en espérant qu’il pourra retrouver l’usage de ses jambes. Il a vraiment besoin de soutien et de réconfort. Notre jeune malvoyant de 16 ans poursuit son rattrapage scolaire à l’école des aveugles avec le rêve d’une formation en plomberie, malheureusement très difficile à envisager vu son handicap visuel. Nous cherchons une alternative pour la rentrée de septembre quelque part au Maroc. L’embauche d’un professeur d’électricité en janvier (nous voulions le faire depuis septembre !) nous a permis de mettre en route une dizaine de jeunes subsahariens (en + de quelques marocains) pour un an de formation. Certains iront rejoindre Kénitra pour la formation qualifiante dès septembre. Les pâtissiers continuent de nous régaler. La nouvelle promotion progresse bien même si pour les croissants et les pains au chocolat, ce n’est pas encore tout à fait cela ! 3 jeunes que nous connaissons bien et depuis longtemps sont actuellement en attente d’Europe, à Nador ou La’Youn, selon le jeu des passeurs. Ils poursuivent leur projet et sont dans nos prières sur ces chemins dangereux et incertains. D’autres viennent de passer en Espagne et même de rejoindre un membre de la famille en Allemagne. D’autres construisent le programme de retour au pays. Un vient de rentrer au Sénégal. Un autre devrait rentrer au Cameroun très bientôt si sa paranoïa ne détruit pas le programme que nous avons construit patiemment avec lui depuis des mois. Un autre partira cette semaine pour la Guinée après 4 années difficiles au Maroc. Un vient de rentrer au Libéria et nous remercie beaucoup pour toute la fraternité partagée à l’église pendant plusieurs mois… Voilà quelques échos d’une maison bien remplie, avec ses joies et ses peines, avec des repas au presbytère toujours autour de 30 personnes, sans compter les 15 de l’appartement des mineurs et les 7 de l’appartement de la médina…