Alep de Mgr Jeanbart
Alep le 25 Mars 2018
Bien cher Ami,
Je viens en ce Dimanche des Rameaux, prélude de la résurrection, vous écrire pour vous faire mes souhaits et vous dire la joie et l’assurance que je ressens en ce jour béni, qui avait vu se manifester aux habitants de la Palestine la toute-puissance du Seigneur! Je ne sais si vous avez un jour, eu la chance de lire le chapitre 11 de l’Evangile selon Saint Jean ? Si non faites-le, je vous prie, vous y retrouverez le Sauveur auquel nous nous sommes confiés.
Le miracle prodigieux de Béthanie est un évènement historique confirmé par un grand nombre de témoins oculaires: des témoins simples et modestes qui avaient célébré l’évènement en manifestant avec les enfants de Jérusalem et des témoins influents et puissants qui avaient certifié le fait par leur condamnation à mort du Christ Jésus. Pour moi ce miracle a toujours été, comme l’avait souhaité le Seigneur, un signe majeur et très fort (Jean XI:15), il m’a confirmé dans ma Foi et porté à choisir ce jour anniversaire, pour célébrer à Jérusalem il y a cinquante ans la consécration définitive de ma vie à sa suite.
Depuis ce jour béni, je n’ai jamais arrêté d’espérer en Celui qui, Maître de la vie, tout-puissant et miséricordieux, peut tout donner à ceux qui lui font confiance. Cet évènement marquant de l’histoire du salut, prédit le passage de l’homme d’une vie éphémère à une existence transfigurée et animée par la présence vivifiante du Christ Ressuscité.
Je dois reconnaître que durant les sept années de guerre et de violence que nous avons subies en Syrie, j’ai senti chaque jour un peu plus, la réalité de la présence du Maître qui nous accompagne, mon clergé et moi-même, pour soutenir nos pas, nous aider dans notre mission ardue et nous protéger. Quatre fois, Il m’a sorti de situations très périlleuses où de grands dommages m’attendaient. Ma résidence, mon archevêché et la Cathédrale avaient été la cible de bombardements répétés des rebelles, ils y ont déversé plus de 70 obus de toutes espèces et causé de grands dégâts. Un de mes prêtres avait été gravement atteint et nos bâtiments rendus littéralement inutilisables.
En tout cela nous sentions, malgré tout, la présence du Seigneur qui nous accompagnait.
Sa Providence ne nous a jamais oubliés, elle a été toujours présente pour rendre notre action humanitaire et caritative moins difficile et plus fructueuse! Elle nous a envoyé des gens de bonne volonté pour travailler avec nous et des bienfaiteurs généreux pour nous aider. Je dois reconnaître que sans cela nous aurions été bien misérables, les miens avec leurs besoins multiples et leurs innombrables contrariétés, et moi-même avec les années qui pèsent sur mes épaules et les complications qui surgissent quotidiennement pour me harasser. Humainement parlant, il nous aurait été quasi impossible de mener à bien la vingtaine de programmes d’aide que nous avions établi pour assister les jeunes et les anciens, les blessés et les malades, les familles et les écoles, les déplacés et les sinistrés.
Aujourd’hui, avec la libération d’Alep, nous observons des lueurs d’espoir pointer à l’horizon. La sécurité et la reprise sensible des services publiques redonnent un peu de tranquillité à nos fidèles. L’eau dans les maisons et l’énergie électrique qui revient ont de quoi réconforter les citoyens. Tout doucement la vie économique reprend et les plus vaillants trouvent sans grande difficulté un petit emploi. De toute évidence, nous sommes bien contents de voir les jeunes que nous préparons dans notre centre de formation professionnelle trouver un poste pour travailler. « Bâtir pour Rester », notre mouvement de développement local, a pu remettre en état800 appartements et quelques 50 ateliers et commerces endommagés par les obus. Sa caisse de solidarité a octroyé jusqu’aujourd’hui 200 prêts gratuits pour aider nos jeunes à entreprendre de petits projets qui leur permettent de vivre dignement et d’avancer.
Malgré ce sursaut réconfortant, un grave problème nous préoccupe et nous attriste. Nombreux sont ceux qui, pour une raison ou une autre, quittent le pays pour émigrer en Occident. Face à cet exode qui frappe particulièrement nos communautés chrétiennes, nous nous trouvons, nous, Pasteurs, en plein désarroi! Que pouvons-nous faire contre ce fléau meurtrier? Faut-il capituler, se rendre à l’évidence et laisser faire en attendant des jours meilleurs? Après mûre réflexion et confiant en Celui qui a redonné la vie à Lazare, j’ai décidé malgré tout de relever ce défi, coûte que coûte.
Un appel a été lancé : « Alep Vous Attend » à tous ceux qui sont partis et qui hésitent. Je savais pertinemment bien, que cet appel peut sembler ridicule aux tenants du « politiquement correct » mais j’ai quand même osé faire le pas, même si comme Jean je semblais crier dans le désert. Nous avons dans ce but établi un programme d’aide financière pour les frais de voyage et de réinstallation des familles désireuses de rentrer et nous avons été agréablement surpris des résultats, moi, autant que mes collaborateurs. Des amis à l’étranger ont apprécié le projet et ont voulu nous aider, 35 personnes ont pu retourner chez eux grâce à ce programme, un bon nombre de ceux qui cherchaient à partir ont commencé à se poser des questions, ceux qui ridiculisaient notre initiative se sont calmés et nous-mêmes, nous avons été portés à faire encore davantage pour aider nos chrétiens à se sentir bien chez eux! Dans ce but nous avons, entre autre, décidé de nous investir entièrement, pour lancer un projet d’habitat à l’intention des jeunes foyers qui veulent vivre dans leur pays.
A vrai dire, nous reprenons jour après jour confiance et les 1500 communions que nos prêtres ont pu distribuer ce matin aux très nombreux fidèles, rassemblés pour célébrer avec nous le jour des Rameaux, ont de quoi nous remplir de joie et nous rassurer.
De tout cœur je vous souhaite cher ami, une Pâques rayonnante des lumières de la Résurrection.
+Jean-Clément JEANBART
Archevêque d’Alep