Intervention Fraternite Synodale des 27/28 janvier 2018
Recevoir le plus pauvre avec sa dignité
Saint-Augustin (27 et 28 Janvier 2018)
« Amen, je vous le dit ; chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».
C’est cette phrase tirée de St-Mathieu qui nous a servi en quelque sorte de fil rouge lorsque notre fraternité synodale a abordé ce thème de la pauvreté : recevoir le plus pauvre avec sa dignité.
Le pauvre ne peut pas être réduit à sa pauvreté. Le pauvre est une personne à part entière.
Et c’est embarrassant de parler pauvreté si on ne voit que le côté économique du terme. Car il y a de nouvelles situations difficiles qui sont de vraies pauvretés : les addictions (drogue, alcool, jeux…), la désespérance, les demandeurs d’asile, les réfugiés (cf l’actualité avec les migrants), le monde agricole et la crise qui va avec, l’anxiété des jeunes, la peur de l’avenir à l’origine du peu d’envie d’engendrer une descendance dans un monde non fraternel, ou au moins pas assez, et qui ne peux les accueillir…
Malheureusement, la liste ne s’arrête pas là.
Il n’y a rien de pire que de grands immeubles pour créer la pauvreté. On voit bien le problème dans ce que l’on appelle les cités.
Mais, le plus prégnant aujourd’hui c’est la solitude. C’est un dénuement relationnel (isolement entre autres pendant le temps des vacances). Voilà une pauvreté que l’on oublie : la solitude !
Et aussi tous ceux qui ont des problèmes et pas d’interlocuteur, ceux qui ne font plus confiance à personne tellement ils ont été ballottés, trahis par les services sociaux, les structures, les familles…
Il y a de la désespérance aussi de ne pas trouver de solution dans certains cas d’insertion dans la société…
La non-maîtrise de sa raison est une pauvreté terrible.
Et la pauvreté dans le cas d’un deuil ? La prise en charge du deuil prend en compte cette notion de pauvreté par rapport à celui qui ne va pas bien même si c’est seulement pour un temps relativement court.
Le pauvre aujourd’hui, il est à notre porte, à nos côtés, mais le voyons-nous ?
C’est vrai que ce n’est pas facile de repérer les pauvretés des personnes côtoyées
Et lorsque nous avons repéré l’une de ces pauvretés, que faire ? Comment ? On n’accueille pas de la même manière un malade mental et un migrant.
Nous pouvons être affolés par la tâche : un pauvre, oui, mais DES pauvres ? et pour être plus concret : un migrant oui, mais DES migrants ?
Notre conscience nous empêche parfois d’agir car nous avons nos limites : le petit confort que je recherche mais qui me dérange …
Souvent on se sent mauvaise conscience devant les différentes demandes. Lorsque nous ne pouvons y répondre, nous sommes souvent complètement démunis. Nous nous heurtons à nos propres limites et aux limites sociales.
Et pourtant le pauvre est là.
Non seulement, il est bien là, mais, et c’est paradoxal, il peut être source de joie. Pour lui, peut-être, nous l’espérons. Pour les autres : sûrement !
Voici un exemple parmi d’autres, lié à l’accueil des familles en deuil. Dans ces moments là, difficiles pour les familles, les gens sont authentiques. Ils sont en demande et c’est donc plus facile de pouvoir répondre à leurs attentes multiples. Certains sont touchés par la Parole de Dieu. Les accompagnants sont porteurs de quelque chose et il y a de la joie là-dedans, une certaine joie de la rencontre. Souvent la famille en deuil vient voir les accompagnants quelque temps après les obsèques. Elle vient pour remercier pour l’écoute et pour l’accueil. Et là, il y une vraie nouvelle joie pour cette nouvelle rencontre. Et c’est une joie partagée.
Quel que soit le pauvre accueilli, quelle que soit la forme de notre accueil, c’est à nous de continuer de porter ces personnes accueillies dans nos prières.
Nous nous heurtons à nos limites, à nos propres pauvretés. Il nous faut faire preuve d’humilité et apprendre à se réjouir des petits pas que l’on fait tout doucement. Accepter de ne pas pouvoir répondre à ce que nous pensons devoir donner, à ce que nous pensons être un besoin pour l’autre. Il nous faut accepter d’être pauvre de ce que nous voudrions donner sans le pouvoir.
Nous serons toujours dans cette ambivalence : on aimerait faire plus…mais…
Il nous reste la prière. Il faut être conscient que, à travers nous, c’est Dieu qui agit. Et la joie viendra de ce que nous nous confions à Dieu pour ce qu’il n’est pas en notre pouvoir de faire.
Ce que nous apportons au pauvre, à celui que nous avons « repéré », nous sommes capables de le « comptabiliser », sous une forme ou une autre. Mais lui, le pauvre, en dehors de sa pauvreté, que nous apporte-t-il ?
Pour illustrer cette interrogation, somme toute légitime, notre paroisse de St-Au nous fournit 2 exemples : l’accueil des personnes mal-entendantes et les célébrations eucharistiques au Centre Hospitalier Guillaume Régnier (CHGR). Il y en a d’autres, mais nous ne retiendrons que celles-ci pour aujourd’hui.
La communauté des sourds célèbre régulièrement avec nous (2 fois par an). Au fil du temps, il nous a semblé que cette communauté devenait de moins en moins bruyante dans nos assemblées (au sens propre du terme) et qu’il y avait plus d’intériorité. Avez-vous remarqué, lors de la dernière célébration, ici à St-Augustin, en décembre dernier, la richesse du silence au moment de la prière eucharistique, dite et signée, donc lente… Et ce Notre Père dit et signé ? Nous avons eu là l’occasion de mieux goûter la liturgie et ce sont les sourds qui nous l’ont permis ! Evangélisés ! Nous, paroisse grand gueule, évangélisée par des sourds ? Oui, évangélisée par des sourds !
Régulièrement, l’une ou l’autre des équipes liturgiques de la paroisse va animer une célébration au CHGR.
Pour quelqu’un qui n’a jamais participé à une célébration au CHGR, c’est décoiffant ! Le mot est faible : çà vous enlève votre vernis ! Cà vous décape ! Tout peut se passer… et tout se passe ! Situations, paroles, gestuelles… Tout, absolument tout… est sous le regard du Christ…Vous vous sentez pauvre parmi les pauvres ! Rien ne vaut l’expérience : allez-y ! C’est à côté ! C’est à 10 h le dimanche ! Ce n’est pas un spectacle ! Votre présence sera prière ! Vous ne sortirez pas intacts de cette expérience de vivre une Eucharistie au milieu de ceux qui sont pauvres de leur raison ! Evangélisés ! Nous, paroisse intelligente, évangélisée par des gens pas bien dans leur tête ? Oui, évangélisée par des gens qui ne maîtrisent plus leur raison !
Alors ? Que fait-on ?
Alors, ne fermons pas nos cœurs ! Ne fermons pas nos cœurs à la pauvreté, où qu’elle soit, sous quelque forme qu’elle existe ! Ouvrons nos cœurs… et nos yeux !
« Heureux vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous.»