Les enjeux pastoraux de la rentrée
Nous avons entamé l’an dernier un « chemin pastoral » qui devrait nous servir d’orientation au cours des années à venir. Chemin pour bien indiquer que nous sommes en marche, en cheminement, en pèlerinage peut-être si l’on veut faire référence à notre pèlerinage paroissial au Mont saint Michel. Nous ne nous donnons pas de but à atteindre, pas d’objectifs à réaliser ! Nous avons simplement envie de dire que nous sommes en marche, en route … un peu comme les disciples d’Emmaüs qui sont rejoints par le Christ ressuscité, justement dans leur marche, dans leurs soucis, dans l’incertitude des espérances qui semblent déçues par les événements. Marcher, cheminer, se mettre et se remettre en route pour se rendre disponibles à la nouveauté de l’Esprit Saint agissant encore et toujours dans notre monde et notre temps.
Nous sommes en même temps des héritiers. Cette paroisse verra ses 50 ans dans quelques mois. Un ½ siècle c’est à la fois peu en regard de l’histoire des hommes, du monde et de l’Eglise, mais c’est aussi beaucoup en termes d’engagements, de réalités humaines, d’amitiés, de services, etc. Chacun pourrait dire ce qu’il a reçu de saint Augustin et combien cela a contribué à le construire dans son humanité, dans sa vie chrétienne et dans ses solidarités fraternelles. Les héritages sont faits pour être investis, sinon ils sont comme les valeurs que l’on dépose dans les coffre-fort des banques : ils sommeillent !
Les héritiers que nous sommes doivent recevoir l’héritage comme autant de talents à mettre en œuvre, à faire fructifier. C’est cela notre responsabilité première : offrir, proposer aux hommes et aux femmes de ce temps la possibilité de se trouver bien, de s’y retrouver, dans ce qu’est l’originalité et la spécificité de saint Augustin. Or, c’est quoi la spécificité de saint Au ? Si nous reprenons les fondamentaux, nous avons les 3 « P » : Prière, Partage, Parole. Ce triptyque continue à nous habiter : Nous ne prions bien que si nous partageons en nous inspirant de la Parole de Dieu et de celles des hommes. Nous ne partageons bien que si nous prenons l’habitude de partager et la Parole et ce que nous avons, mais aussi la prière. Nous n’écoutons bien la Parole, celle de Dieu et celle de nos frères, que si notre cœur est ouvert à l’Autre que je prie, aux autres qui m’interpellent. Autrement dit, il y aura toujours un tiers entre Dieu et moi, entre Dieu et le frère.
Les relectures pastorales ont mis l’accent sur un triptyque complémentaire : Innover en liturgie ; Être une paroisse contemporaine ; Développer la fraternité. Là encore, impossible de rester dans des relations duales. Il y a toujours un tiers entre la célébration et l’actualité, entre l’actualité et la fraternité, entre la fraternité et la célébration. Ce tiers empêche toujours que l’on se cantonne dans des choses binaires qui risquent toujours de devenir conflictuelles. Le tiers qui s’invite est toujours une ouverture à dépasser cette tendance que nous avons de voir en noir et blanc, bien et mal, positif et négatif. Le pape François nous invite, dans Amoris laetitia, à justement ne pas être dualistes.
Quelques mots sur les jeunes. Cet été, j’ai fait quelques jours aux JMJ à Cracovie en accompagnant un groupe du MEJ dans un périple intra-européen : Strasbourg-Cracovie et retour. C’est toujours intéressant de voir comment la jeune génération fonctionne et quelles paroles le Pape leur adresse. Il y a un trait qui m’a étonné. Les jeunes avec qui j’étais, mais je pense que c’est un phénomène plus généra, n’ont pas manifesté un intérêt démesuré pour les jeunes venant d’ailleurs. Leur principal souci à Cracovie était de retrouver leurs copains, leurs connaissances. Et parmi tous les spectacles, ils se sont précipités pour aller au concert de Glorious, groupe français s’il en est. J’ai vu aussi cela au Campus misericordiae : les groupes d’espagnols, d’italiens … chacun de son côté, sans manifestation d’intérêt pour les autres. Ce n’est bien sûr pas la généralité, mais l’indice d’une tendance à se retrouver entre soi, entre gens de connaissance, sans avoir le désir d’une rencontre avec le frère (pourtant catho) qui vient d’un autre pays.
Le pape François leur a rappelé que ce qu’il souhaite c’est que l’on ne construise pas des murs qui séparent les gens les uns des autres, mais que l’on construise des ponts pour aller les uns vers les autres. On se rend bien compte que l’on est devant un vrai défi : comment construire des ponts et comment faire comprendre que la fraternité, le vivre-ensemble ne seront possibles que si l’on se met au travail. Peut-être faudrait-il rajouter une béatitude : Heureux les constructeurs de pont, ils favorisent la fraternité ! Je pense que, pastoralement, on ne peut pas passer à côté de cet investissement dans l’enjambement des torrents de haine, de méfiance, d’indifférence qui caractérisent certaines oppositions entre les hommes, les communautés, les religions, etc. Il nous faudrait redécouvrir l’audace et la joie de la rencontre afin d’entraîner avec nous les jeunes générations. Peu importe que cela semble de toutes petites choses en regard de ce qui semble être quasi impossible. Je donne juste un exemple. La fac de droit de Rennes monte une formation pour sensibiliser les acteurs du terrain au vivre-ensemble. C’est un DU qui s’intitule « Religions, droit et vie sociale ». La 1ère promotion est d’une vingtaine ; c’est peu mais c’est un choix de limiter les places pour faire en sorte que les étudiants vivent déjà entre eux quelque chose de ce vivre-ensemble que l’on veut leur faire passer. Il est prévu 10h, 2h30 sur chacune des 4 religions (Judaïsme, catholique, réformés, islam). Ces cours de religion sont donnés par des représentants des religions. J’y assure la partie « catho ». Mais ce qui m’a le plus intéressé, c’est bien l’intérêt porté par l’Université sur ces questions et de voir des profs s’investir dans ce qui semble être une priorité pour que l’on puisse vivre bien ensemble. Cette initiative on ne peut plus modeste est le signe que l’on peut faire quelque chose en faveur du bien commun, de l’être-ensemble, etc. D’où cette insistance pastorale : Que faire encore davantage pour créer des ponts, des passerelles ?
Le pape François a partagé aux jeunes 2 tristesses pastorales. La 1ère, c’est de rencontrer des jeunes qui ont une mentalité de retraité, des jeunes qui ont jeté l’éponge avant le combat. La seconde, c’est de voir des jeunes vautrés dans des canapés à ne rien faire d’autre que de ne pas vivre. Mais, il a aussi dit, et c’est là que j’ai tendu l’oreille, qu’il y avait des gens qui avaient tout intérêt à faire en sorte que les jeunes ne bougent pas de leur canapé, qu’ils ne prennent surtout pas leur destin en main … qu’on s’en occupe pour eux ! Il y a donc une invitation pastorale en direction des jeunes pour qu’ils soient les acteurs du monde, de la société, de l’Eglise dans lesquels ils vivent aujourd’hui, vivront demain et qu’ils laisseront à leurs descendants. Bien sûr, il y a tout le programme de Laudato si’ en vue d’une écologie humaine intégrale. Sans oublier ce que François nous dit sur « L’Eglise en sortie », exprimant ainsi la posture missionnaire et évangélisatrice de toute communauté chrétienne mais aussi la nécessaire réforme interne des structures ecclésiales. Il faut tenir compte des résultats des synodes sur la famille, avec cet encouragement à l’engagement sérieux dans le mariage et la famille, et, en même temps, faire œuvre de miséricorde quand la nécessité s’en fait sentir. Comme le disait le cardinal Schonborn, en présentant Amoris laetitia, quelque chose est en train de changer dans le langage de l’Eglise : pas tant dans le fond que dans le ton. Ce que j’appelle une bienveillance a priori, une bienveillance exigeante certes, mais qui accueille, qui écoute et qui accompagne. Je me demande s’il n’y a pas là une inspiration pastorale à creuser pour notre communauté.
Nous sommes encore dans cette année de la miséricorde que le Pape a donné à l’Eglise, non pas pour en faire simplement un thème d’année, mais bien plus pour que la miséricorde soit inscrite dans les gènes de l’Eglise, de chaque communauté et de chaque chrétien. Avec cet objectif de pratiquer les œuvres de miséricorde afin de célébrer dignement le Dieu qui est miséricorde ! Nous aurons à vivre ce pèlerinage, passer la Porte Sainte, et cela marquera le début de l’année pastorale paroissiale. Récemment, un nouveau dicastère a été créé à Rome, au service du développement humain intégral, qui sera confié au cardinal Turkson. L’agence de presse Zenit donne ces précisions :
Durant l’actuel Jubilé de la miséricorde, a expliqué quant à lui le cardinal Turkson, « il nous est demandé de faire miséricorde à notre maison commune ». La première étape est de « reconnaître humblement le mal que nous faisons à la Terre par la pollution, la destruction scandaleuse des écosystèmes et la perte de la biodiversité ».
Il s’agit aussi de « réaliser que quand nous blessons la Terre, nous faisons mal au pauvre » et « à ceux qui ne sont pas encore nés ». Après ce repentir qui doit être personnel et institutionnel, a poursuivi le cardinal, il faut « compléter les œuvres spirituelles et corporelles avec la sauvegarde de notre maison commune », une « nouvelle œuvre de miséricorde ».
Et l’on se rend compte de l’aspect novateur de la miséricorde, comme on le lit ici :
A l’origine, a-t-il rappelé citant l’Evangile de Matthieu (25), il y avait six œuvres de miséricorde : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger et vous m’avez accueilli, j’étais nu et vous m’avez vêtu. J’étais malade ou en prison et vous m’avez visité ».
Au Moyen-Age, a poursuivi Terence Ward, une septième œuvre a été ajoutée : enterrer les morts. Et aujourd’hui « le pape François a ajouté une 8e œuvre de miséricorde » qui est « la sauvegarde de la maison commune ». Cette œuvre « œcuménique et écologique » est même, selon l’écrivain, « la plus grande œuvre de miséricorde car elle inclut toutes les autres. Une œuvre de miséricorde moderne pour notre époque moderne ».
Ainsi, on se rend compte que la miséricorde est génératrice de comportements nouveaux, appropriés aux défis de notre temps et de notre époque. Là encore, nous sommes invités à faire preuve d’attitude pastorale en inscrivant la miséricorde au cœur de nos comportements. Pas facile, me direz-vous, dans le contexte que nous connaissons, avec l’assassinat du P. Hamel, les attentats, les menaces. Nous savons bien qu’il y a un climat d’angoisse, de peur et de crainte, de défiance et de suspicion. Mais, notre pastorale miséricordieuse doit être faite de confiance et de prudence.
L’année qui vient verra au moins 3 événements qui auront sans doute quelques incidences pastorales :
- En France, il y aura des élections, présidentielle et législative, en 2017. La campagne a déjà plus ou moins commencée et l’on entend des propos qui méritent d’être interrogés à la lumière de l’Evangile. Quels propos pastoraux pourrions-nous mettre en place pour qu’un débat sincère puisse se faire entre nous ?
- En Suède, le Pape se rendra à Lund pour participer aux commémorations du 500° anniversaire de la Réforme. Dans notre pratique de l’œcuménisme, quels accents pastoraux déployer ?
- Le Diocèse va se lancer en 2017-18 dans une démarche synodale en vue d’orientations pastorales concernant la mission, l’évangélisation. Comment nous sentirons-nous concernés par cette aventure de notre église locale ?
Voilà donc ce que je perçois comme « enjeux pastoraux » en cette rentrée 2016-17. Chacun a sans doute les siens, et ce sera intéressant d’en parler tout à l’heure dans les différents groupes. Il ne s’agit pas de tout mettre en œuvre et en pratique ! Il s’agit plus sobrement, à l’écoute de notre temps et de l’Esprit Saint, de sentir ce que nous pouvons faire, ce à quoi nous sommes appelés, pour demeurer fidèles à l’Evangile, mais aussi à cette mémoire paroissiale qui nous porte, afin que nous soyons des témoins crédibles pour notre époque !
Norbert-Marie SONNIER